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dimanche 22/12/2024

Xhixho: A Genève, les étrangers sont traités un peu différemment, même si à Berne on dit que notre communauté est un exemple d’intégration et de réussite

Genève, 23 octobre – Notre interlocutrice cette fois est Dorina Xhixho, conseillère du ministre de la Culture à Genève depuis janvier 2021, membre du Comité Directeur du Parti Socialiste du Canton de Genève et militante engagée dans la société civile, notamment sur les questions des droits humains. Elle a été candidate à la nomination du Parti Socialiste pour le Conseil administratif de la Ville de Genève 2025-2030. Auparavant, elle a travaillé pendant plus de dix ans dans les relations multilatérales, d’abord comme diplomate à la Mission de l’Albanie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, puis à l’Union Internationale des Télécommunications (UIT). Née à Tirana en 1982, elle vit à Genève depuis 25 ans, où elle est venue en tant qu’étudiante. Dorina est diplômée en droit et en sciences politiques, spécialisée dans les négociations et les politiques publiques.

 « Les citoyens d’origine étrangère, même s’ils sont nés en Suisse, sont traités comme des immigrants, tandis que ceux nés à l’extérieur de la Suisse mais naturalisés sont considérés comme étrangers. Cette réalité sociale rend l’engagement politique de ces personnes particulièrement difficile. » , dit Dorina Xhixho.

* Les médias suisses ont récemment rapporté que vous étiez candidate potentielle du Parti Socialiste au Conseil administratif de la Ville de Genève, mais il semble que les choses aient changé après la réunion extraordinaire du 10 octobre pour discuter de la suspension des adhésions au parti. De quoi s’agit-il exactement ?

Xhixho: En fait, mon résultat lors de l’Assemblée du 7 mai 2024, c’est-à-dire les élections internes au parti, a été très encourageant. J’étais à seulement six voix de la finale. Nous étions au total sept candidat·es, et les élections se sont déroulées sur cinq tours. J’ai atteint ce résultat grâce aussi au soutien des membres représentant les différentes minorités au sein du Parti Socialiste. Je suis extrêmement reconnaissante ! Cependant, la compétition interne a été entachée par une décision du comité du parti de bloquer les nouvelles adhésions déposées dans les trois mois précédant cette assemblée, de sorte que ces nouveaux membres n’ont pas pu voter lors des élections internes. Cette décision a été accompagnée de rumeurs au sein du parti, arguant que cela était dû à des adhésions communautaires et opportunistes massives, en particulier des albanophones genevois. Cette rumeur infondée, qui a d’ailleurs été démentie en juin 2024 par le Comité Directeur du PS cantonal, a nui à mon image pendant la campagne pour les élections internes au parti et a préoccupé de nombreux membres. Ces derniers ont décidé de recueillir des signatures pour demander une assemblée extraordinaire (AGE) afin que le Comité du PS Ville de Genève puisse expliquer sa décision et clarifier la situation. Cette réunion a eu lieu le 10 octobre, alors que la demande avait été déposée au comité le 26 juin.

* Selon la presse suisse, cette assemblée du 10 octobre s’est déroulée dans un climat tendu. Que se passe-t-il vraiment au sein du PS ?

Xhixho: Cette assemblée est historique, cela fait 30 ans qu’une réunion n’a pas été organisée dans le PS à la demande des membres. Ce groupe de personnes est remarquable, je les admire pour leurs valeurs et leur engagement dans cette lutte de principe. Nous avons essayé d’agir de manière démocratique, de créer un espace de dialogue entre les membres afin de résoudre ce problème en interne et “entre nous”. Cette assemblée était nécessaire pour assurer la transparence concernant la décision du comité et ses conséquences, en particulier pour traiter le sentiment d’injustice que cette décision a provoqué parmi les membres et certaines communautés. Les initiateur·rices ont également demandé des modifications statutaires afin que la suspension des adhésions ne se reproduise plus à l’avenir et la création d’un comité permanent pour la promotion de la diversité. Malheureusement, nous avons été confronté·es à un mur de la part de la Présidence et ensuite du comité. Les débats entre les initiateur·rices et le comité sur l’organisation de l’assemblée ont duré plusieurs mois et se sont naturellement intensifiés avec le temps, ce qui a conduit à une incapacité à contenir la problématique. Dans les semaines précédant l’assemblée, la situation s’est aggravée, surtout après que la date de la réunion a été annoncée par le comité sans l’accord des initiateur·rices, créant un véritable sentiment de peur quant à la participation ou à l’expression lors de l’assemblée. La situation a dégénéré le 10 octobre en une assemblée absurde au cours de laquelle un vote a eu lieu pour empêcher les initiateur·rices de soumettre des objets pour vote, la fin de la démocratie. C’est regrettable…! Le problème de fondréside dans le fait que les adhésions en question ont été déposées au PS entre février et avril 2024, et les élections internes au parti ont eu lieu le 7 mai. Ainsi, ces adhésions ne peuvent pas être considérées comme des « adhésions de dernière minute ». De plus, les adhésions en question n’ont pas été en grande quantité et n’ont pas connu une augmentation significative par rapport à 2022-2023, les chiffres sont presque identiques. Encore plus important, les statuts du parti ne prévoient pas de mesures de blocage ou de suspension des adhésions, ni de délai pour acquérir le droit de vote. La présidence actuelle a en fait reçu la liste avec les noms des personnes ayant demandé une adhésion du secrétariat et ensuite a demandé au comité de prendre une décision de suspension le 19 avril, interprétant ainsi les compétences de ce dernier au-delà de ce que prévoient les statuts. Surtout, ce qui est le plus problématique, c’est que cette manière d’agir n’est vraiment pas conforme aux principes du PS en matière d’égalité de traitement et de non-discrimination.

* Vous dénoncez la xénophobie dans le parti le plus puissant de la ville de Genève, un parti de gauche connu pour la promotion des immigré·es. Cela ne vous semble-t-il pas quelque peu étrange ou irréaliste ?

Xhixho: Tout d’abord, je n’ai jamais dit que le PS était xénophobe ou raciste, nous ne pouvons pas mettre tout le monde dans le même sac. Depuis des années, je me suis engagée sur les questions d’inclusion et de diversité dans le parti cantonal, et j’ai travaillé avec des personnes dévouées et conscientes, que j’apprécie et respecte. Deuxièmement, il existe un racisme structurel dans chaque parti ou organisation citoyenne ; la sensibilisation à ce problème est vitale pour l’activité politique du parti. Ensuite, les citoyen·nes né·es à l’extérieur de la Suisse ou d’origine étrangère, différente de celle des pays voisins, sont quasi absents parmi les élu·es de haut niveau du PS, que ce soit dans les gouvernements municipaux, cantonaux ou à Berne. Le phénomène du « plafond de verre » pour certaines catégories de membres du PS est un fait, et le parti doit renforcer son travail pour surmonter ce problème. En Ville de Genève, depuis deux siècles, nous n’avons pas eu une seule personne représentant le PS au Conseil administratif et ayant réellement vécu le processus migratoire. De plus, dans le cas précis du 7 mai, nous sommes confronté·es à l’instrumentalisation de l’origine d’un ou deux candidat·es et à la stigmatisation des communautés respectives à des fins politiques et personnelles.

Comment ces derniers développements au sein du PS se traduisent pour les citoyens de Genève, les étrangersreprésentent environ 40 % de la population et il y a beaucoup de citoyens albanais ? À première vue, celaressemble à un débat interne au Parti socialiste.

Xhixho: C’est une question d’intégrité. Je pense qu’il est inacceptable de donner une image à l’électorat et à la population tout en agissant selon d’autres normes dans les structures internes. La situation doit être vue dans le cadre des élections générales communales pour comprendre l’importance de ce qui s’est passé. N’oublions pas que le PS a deux ministres depuis vingt-cinq ans en Ville de Genève, donc théoriquement, gagner aux élections internes garantit une place au gouvernement de la ville. Imaginons une situation analogue à celle qui s’est produite au PS lors des élections municipales. Imaginons un instant que la Commission Électorale Centrale décide que les personnes récemment naturalisées suisses quelques mois avant les élections, donc en janvier-février 2025, soient considérées comme « pas assez suisses » et ne soient pas autorisées à voter aux élections municipales de mars 2025. Cela constituerait une discrimination injustifiée et serait illégal, un changement des règles de citoyenneté qui influencerait le résultat des élections. Bien sûr, ces personnes seraient nécessairement des citoyen·nes d’origine non suisse, né·es avec une autre nationalité. Imaginez comment ces citoyen·nes se sentiraient. Cela provoquerait un choc dans l’opinion publique. Dans les Balkans, nous appelons ces phénomènes des « manipulations électorales », ici, j’ai appris qu’on les appelle « gestion des risques ».

* Quelle est aujourd’hui l’image des étrangers et des immigrants, dans ce cas des Albanais, dans le canton de Genève, et comment sont-ils traités par la politique ?

Xhixho: Les Albanais en Suisse ont l’image d’une communauté travailleuse et politiquement consciente. Certains d’entre eux sont employés par les autorités suisses et cantonales, ou sont engagés dans plusieurs partis politiques à Genève. Je pense qu’en ce qui concerne la perception des institutions, la communauté albanaise devrait être un exemple d’intégration et de succès, contribuant à l’avancement des processus démocratiques ainsi qu’à la construction et au développement de la Suisse. Mais bien sûr, tout le monde ne pense pas ainsi. Par exemple, à Genève, une ville internationale et multiculturelle, les étrangers, y compris les Albanais dans certains cas, souffrent encore de discrimination. Dans mon cas, il m’était impossible de rester silencieuse dans une atmosphère stigmatisante liée à mon origine. Je refuse de sacrifier mes principes pour des raisons électorales. Bien sûr, cela m’a coûté cher au sein du parti, ainsi qu’aux +40 autres membres qui ont demandé l’organisation de l’AGE. Dans tous les cas, la manière dont la situation a été gérée a mis en évidence que le Parti Socialiste, à mon avis, n’est pas encore prêt pour une candidature « étrangère » et/ou albanophone en Ville de Genève. Cependant, je souligne que le Parti Socialiste ne doit pas être confondu avec une poignée d’individus au sein du Parti Socialiste Ville de Genève. De plus, il est très préoccupant que la question de l’immigration soit instrumentalisée par les partis politiques. Les partis demandent aux membres d’origine étrangère de mobiliser leurs communautés pour les élections, mais lorsque cette mobilisation se fait en faveur des membres issus de ces communautés, ceux-ci sont traités comme des « mafias communautaristes ». Aussi, les citoyen·nes d’origine étrangère, même s’ils sont ·es en Suisse, sont traité·es comme des immigré·es, tandis que ceux né·es à l’extérieur de la Suisse mais naturalisé·es sont considéré·es comme étranger·ères. Cette réalité sociale rend l’engagement politique de ces citoyen·nes particulièrement difficile. Les membres et militant·es ayant le cœur à gauche doivent réfléchir collectivement à la manière de construire l’avenir politique du PS pour que tous les membres et la population en général se sentent représenté·es et respecté·es. Je dois également réfléchir de mon côté. J’espère encore que nous pourrons évoluer dans une direction commune avec le PS et que nos chemins ne se séparent pas.

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